mardi 23 juin 2015

Lettre à une jeune femme que je ne connais pas

Je ne connais que ton prénom. Je ne t'ai jamais rencontrée, je ne connais pas ton amoureux non plus. Vous habitez dans une autre région, et il y a peu de chances qu'on se croise un jour. 
Celle que je connais, c'est ta belle-mère. Ce n'est pas une amie, non, c'est quelqu'un que je croise régulièrement... comme une collègue, disons, ou une voisine, une connaissance. 
Cela faisait quelques jours que l'on voyait l'excitation dans ses yeux, qu'elle souriait en permanence. Qu'elle sursautait dès que son téléphone bipait, et qu'elle le consultait sans cesse, en se confondant en excuses. C'était imminent, et c'était la première fois. Elle allait gagner une nouvelle étoile, elle allait devenir grand-mère. 
Et moi, je souriais de sa joie, je me réjouissais de son excitation. Je lui demandais des nouvelles, on discutait prénom. Moi qui adore collectionner les prénoms de bébé comme des fleurs dans un bouquet, j'avais hâte de découvrir celui que tu choisirais. 

Quelques jours plus tard, elle nous a envoyé un message ; on ne la verrait plus pendant quelques jours. L'accouchement s'était mal passé. Quelques termes médicaux, une incertitude. 
Et quelques jours plus tard encore, un autre message. 
Un prénom. Une fleur dans mon bouquet. Mais un prénom qui ne sera jamais marqué sur la porte d'une chambre d'enfant. 

Je ne te connais pas, mais quand j'ai reçu ce message, j'ai serré très fort mon homme dans mes bras, nous sommes allés voir nos enfants dormir, et puis nous avons pleuré. 

Je ne te connais pas mais je pense souvent à toi, et à chaque fois mon ventre se tord. Je pense à ta tristesse, je pense à ma chance, je pense à ma peur. 

Je pense au jour où tu as lu ton test de grossesse. Je pense aux heures que tu as passées sur internet à choisir le meilleur modèle de poussette. Je pense à tous les prénoms entre lesquels tu as hésité, que tu prononçais pour entendre lequel sonnait le mieux. Je pense à sa première tenue, soigneusement pliée sur le haut de la valise de maternité. Je pense à la première fois où tu l'as senti bouger, où tu as appelé ton homme qui s'est précipité et qui lui n'a rien senti, pas tout de suite. Je pense aux derniers jours,  à ces matins où tu te réveillais pleine de ton ventre, de tes courbatures, et où tu te demandais avec un mélange de lassitude et d'excitation si ce serait pour aujourd'hui. Je pense aux voisins que tu croisais et qui te lançaient "Alors, c'est pour bientôt?!" Je pense à ce bébé qui allait bien, et aux quelques centimètres qui le séparaient de nous. Je pense à ces instants que tu te repasses sans cesse, en te demandant comment cela a pu tourner ainsi, qui a fait une erreur, ce qu'il aurait fallu faire. Je pense à votre retour chez vous, seuls. Je pense à toi et je t'imagine regarder les étoiles et y chercher sa place.

Je pense à toi et j'espère que tu verras les étoiles briller. 



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